Anesthésier ses émotions

« Bonsoir. Manu, dépendant. » La salle répond : « Salut Manu ! ».

Autour d’une grande table en métal, sept hommes et une femme. Il est 20h30. La réunion des Narcotiques Anonymes de Lyon peut commencer. Ce soir, ils se sont réunis dans une salle prêtée par l’association Basiliade qui s’occupe de personnes atteintes du VIH.Pour cette fois, Manu veut bien être modérateur. C’est lui qui animera la réunion.

Il commence : « Même si on ne se connaît pas, j’ai l’impression de vous connaître. Peut-être parce que je m’identifie à chacun de vous. »

Manu a 44 ans et 16 ans de consommation derrière lui. Il continue d’assister régulièrement aux réunions pour rendre ce qu’on lui a donné et accueillir les nouveaux.

Ce soir là, il tient à féliciter Hugo d’être revenu aux NA après une rechute. Dans son blazer de velours noir, Manu a de l’allure. Son visage frais sans aucune cerne et ses mains soignées ne laissent rien transparaître.

« Aujourd’hui, j’ai des préoccupations de luxe comparé à ce que j’ai pu vivre », avoue-t-il, presque gêné, fixant la table du regard, devant Hugo, qui se tient le bras pour ne pas trembler.

Loin de cette « galère », Manu se surprend parfois à s’énerver pour des broutilles. Et pourtant il est là. Toujours avec ce besoin de témoigner, de prouver que oui, on peut en sortir.
Manu a 13 ans lorsqu’il commence à consommer des drogues. Solvants, haschich et alcool avec un groupe d’amis âgés de dix ans plus vieux. Cette chute dans le vice, il l’explique en partie par le divorce de ses parents. Il ajoute : « Je suis né avec une certaine fragilité. » A l’école il se sent à l’écart, sans compter ses mauvais résultats et ses crises de boulimie. Les drogues lui apportent un sentiment de soulagement, de légèreté.

« Comme si elles anesthésiaient les émotions qui rendaient ma vie difficile. »

Après une inspiration, il lâche : « Au final, prendre de la drogue m’a permis de ne pas me foutre en l’air. » En un sens, oui. Mais si la notion de plaisir a duré quatre à cinq ans, s’en sont suivies dix années de « galère ». Manu passe d’un produit à un autre. Héroïne, cocaïne, anxiolytiques … Il vole, deal, passe par la case prison et même par l’hôpital psychiatrique. Il se souvient d’une nuit, où, complètement fauché, il récupère des mégots dans la rue pour avoir quelque chose à fumer.

Et puis il y a eu un déclic. Plus progressif que décisif. Il passe des semaines sans sortir, sans manger. Il n’a plus le goût de vivre. Encouragé par ses parents qui sont conscients de son mal-être, il intègre un centre où le programme des Narcotiques Anonymes est enseigné. « J’y suis allé pour essayer. » Là-bas, il commence un sevrage sans produit de substitution puis entame en parallèle une psychothérapie.

Pour la première fois, il rencontre des anciens toxicomanes qui arrivent à vivre sans drogue. Avant ces rencontres, il n’y croyait même pas.

Depuis, Manu n’a jamais rechuté, grâce aux conseils précieux de son parrain des NA, à ses amis et aux réunions de NA auxquelles il peut assister dans toute la France et aussi à l’étranger. Il répète la devise de l’association qui lui a permis de tenir lors de son sevrage : « Juste pour aujourd’hui », « c’est plus simple que de se dire pour toujours », commente-t-il. Comme dans son enfance, Manu admet avoir encore peur de l’engagement et de vivre des émotions trop fortes. Mais c’est en leur faisant face qu’il pourra avancer. Il termine son « partage » : « Ma copine veut un enfant, et je crois que je vais lui dire oui. »

Chloé Trieu, étudiante de l’ISCPA Lyon

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